Entre les jérémiades relatives à la météo pourrie (trop de vent, top froid, trop chaud…), les chicaneries des terrains défavorables (eau croupie, ou trop chaude ou trop froide, vélo trop long, course à pied en mode trail, …) les pleurnicheries d'enfants malades (j'ai bobo à mon ventre, mon cucu fait des cacas tout mou, j'ai les vomitos qui salissent mes godasses, …), je me demande si les gens font ce sport pour être plain, par pur masochisme, pour briller aux yeux des autres, voire pour se prouver quelque chose.
Chacun trouvera sa réponse.
Bon du coup, j'y vais aussi de mon petit résumé ….
Il faisait un temps quelconque, un ciel bleu gris et un soleil dont tu devines que s'il était visible, il te cuirait le sang dans les veines. Atmosphère printanière de pur automne glacial. Bref, un temps de chiotte.
Tous les copains sont bien affairés à se préparer dans le parc à vélos : et vas y que je gonfle mes pneus à 3,478 bars et que je pose mes petites baskets sur ma petite serviette, et que je me beurre de crème anti truc entre les orteils et que je m'oins d'huile machin chose. Des fourmis les mecs… Quelques vannes fusent de ci de là, ça chambre autant que ça sent le camphre et ça papote à qui mieux mieux pour évacuer un stress naissant et contagieux… Désormais bien au dessus de ses rituels, moi je continue de ne pas me préparer. Les combars s'enfilent au chausse-pied et le néoprène remplace le camphre dans mes narines. Les pingouins de noir revêtus sont tous aussi moches les uns que les autres, et encore plus quand ils chaussent leurs besicles et se coiffent d'un bonnet ridiculement ajusté. Toujours dans la perspective de ma non course, je me surprend à ne rien faire… Et à y prendre plaisir?
Le départ. Ils sont tous entassés avec le doigt sur le bouton de leur montre dernier cri afin d'être bien sûr de ne pas perdre la moindre petite seconde sur leur précieux chrono du jour qui leur permettra d'alimenter leurs statistiques et causeries d'après courses. Corne de brume.
Les pingouins sont désormais empilés les uns sur les autres dans une eau aussi croupie que trop froide (ou trop chaude). Les mandales s'échangent dans une ahurissante chorégraphie aquatique. Ils avancent tant bien que mal et sont maintenant quasi à la queue leu leu à l'approche de la sortie.
Ballet de bonnets volants et de lunettes, les combars sont désenfilées à la volée, et de moitié, laissant apparaitre des ventres plus ou moins velus, plus ou moins plats, plus ou moins bronzés….
Ils courent comme si leur vie en dépendait en crachant cette eau noirâtre et avec les stigmates des lunettes ils ressemblent à des grosses mouches.
Et moi qui suis là, tranquille, à ne pas courir, à ne pas suffoquer, à ne pas être content d'en avoir enfin fini avec cette partie natatoire, sans aucun autre intérêt que celui de commencer et finir un échauffement. Quelle bizarrerie de ne rien faire d'autre que de réfléchir à sa non transition.
Dans le parc, on a le plaisir de voir les différences de niveau entre ceux qui transitent en quelques secondes et ceux qui profitent de ce temps pour s'équiper d'un tas de de trucs aussi vilains qu'inutiles et finissent par monter plus ou moins maladroitement sur leur bicloune dernier cri, aussi peu lourd qu'il est cher. Et ils pensent que c'est indispensable afin de toujours manger un peu du chrono. Et ils se croient encore plus doués avec un vélo tout neuf.
Tous les pingouins sont désormais transformés en robots casqués plus ou moins ridicules, couchés sur leur machine en rêvant d'un chrono de folie ….
Le parc est désormais vide et je reste seul à contempler avec délectation et dans le calme ce champ de bataille jonché de combinaisons néoprène, telles des corps blessés qu'on aura laissé pourrir sans regret, trop fier de partir à l'abordage des rubans asphaltés sur lesquels d'autres batailles sont en train de se livrer….
Puis, petit à petit, le brouhaha reprend, les vélos arrivent par petits groupes, et, là encore, c'est un festival de gestes tous identiques. D'abord bien penser à couper le chrono pour avoir toujours le plus bel exploit affiché sur la montre et bien décomposer chaque discipline et chaque transition… En oubliant que finalement seul le résultat final compte, et que l'organisateur leur fournira tous les temps avec une grande précision.
C'est, du reste, la plus grande aberration et le plus grand paradoxe de ce sport : s'obstiner et s'évertuer à décomposer chaque chrono de chaque discipline et surtout ne pas compter les transitions parce que ça fausse tout …. Alors que rien, absolument rien ne le justifie, puisqu'aucun accessit, aucune récompense n'est donné à ses chronos intermédiaires. Bref…
Alors, au risque de chuter, certains coupent le chrono en même temps qu'ils descendent maladroitement de leur machine : la moindre seconde est importante, pour un peu que la moyenne en pâtisse. Puis ensuite, c'est l'hécatombe. Ce vélo si cher, si précieux, si fidèle durant toutes ces heures d'entrainement et ces km de compétition, n'est plus qu'un vulgaire poids mort dont il faut se débarrasser le plus vite possible. On jette donc ce truc encombrant qui ne sert plus à rien et qui empêche de courir droit et vite au point de transition. Débarrassés des attirails du cycliste, c'est désormais affublé de ceux du runner que les ex-pingouins et ex-cyclistes se retrouvent. Là aussi, c'est drôle à mourir : ces choses inutiles qu'il faut pour courir : une casquette, un bandana, une ceinture avec des bidules et des machins, une éponge, une gourde, un gel, des barres de céréales … Qu'ils partent pour 15' ou 5h00, c'est toujours le même rituel et toujours, bien sûr, le doigt sur le chrono pour ne pas perdre la moindre seconde entre la transition et le début de la course à pied.
Les styles de course sont autant opposés que les styles de look. C'est plaisant de regarder cela tout en continuant de ne rien faire… Mais, épuisant malgré tout.
Puis enfin elle est là, elle arrive … la ligne d'arrivée.
Bon alors toujours le fameux doigt sur le fameux chrono afin, ce coup-ci, de ne pas louper le temps final. Là aussi on trouve de tout mais surtout du haut de gamme qui te dit tout bien comme il faut les petits battements du petit cœur, les vitesses moyennes, les dénivelés, les montés, les descentes , les lignes droites, la température, etc…
On voit de tout. Celui (ou celle) qui sprinte pour gagner deux secondes et niquer une place, celui (ou celle) qui pleure de joie ou de douleur, celui (ou celle) qui passe avec sa femme, son mari, ses gosses, son chien, ou qui voudra bien l'accompagner, celui (ou celle) qui marche , celui (ou celle) qui lève les bras comme s'il gagnait la course (alors qu'il ne gagne que la sienne), celui (ou celle) qui bave, celui (ou celle) qui est au bord de l'apoplexie, celui (ou celle) qui sourit, et même celui (ou celle) qui est tout ça en même temps. Fabuleux florilège de gestes et postures tous aussi saugrenus et magnifiques que ces femmes et ces hommes qui parviennent au bout de l'effort.
Et moi, toujours aussi attentif, je fini enfin ma non course, tout aussi fourbu et fatigué.
Mais en fait, ce n'est pas encore fini. Il reste le débriefing, enfin le ravito final où les mecs (les filles ne le font pas ? si! ah bon !) se causent d'un coup de menton.
"Alors? bien? t'as mis combien?"
Ca se congratule, se chambre, se plussoie, se compare et on commence à extirper et triturer les fameux chronos intermédiaires.
"Ah merde tu m'as mis 19 secondes à la nat mais bon je t'ai repris 43 secondes à T1!"
"Heureusement que j'ai roulé à 42,15km/h parce que, vu que tu me reprenais 18 secondes au kilo sur la CAP, tu m'aurais doublé dans le dernier kil."
"C'est con qu'il n'y a pas la distance en cap sinon je te reprenait sur la ligne!"
"T'as combien au compteur? 40.1 km ? ah ouais moi j'ai 42 donc finalement j'ai roulé mieux que toi"
"J'ai mis 3h15 et toi? 4h30! Ah ba c'est bien pour toi!"
Des commentaires pour initiés, quoi.
De toute façon, les spectateurs n'ont pas accès à cet endroit réservé aux glorieux finishers. Non pas de peur qu'on nique le ravito mais j'imagine pour ne pas perturber le groupe et les laisser entre eux.
Moi j'ai toujours l'œil sur un verre de coca ou le chocolat qui traine sur la table et malgré ma non course je boufferai une vache alors je demande aux copains de me ramener un bout de truc à grignoter … Merde j'ai une non ligne à respecter…
Puis après le débriefing du ravito final, il faut aller récupérer les affaires dans le parc à vélos. Enfin le parc à vélos, c'est plutôt Fukushima, il y a de tout, partout. Là aussi espace réservé aux seuls guerriers, faut montrer patte blanche pour entrer … comme pour sortir!
Bon pas grave, les gars et les filles y vont, rassemblent leurs affaires en continuant le débriefing.
"Nan! Je ne draftais pas! Les mecs, ils me collaient au boyau alors marre d'amener tout le groupe, je me suis laissé doubler, et là, bim, ce con d'arbitre qui déboule de nulle part et me fout un carton."
"Si j'avais nagé comme la semaine passée et couru comme y'a 15 jours, je te foutais minable."
"Putain faut que je change de vélo, il avance à rien celui là! Avec un vélo de chrono et des roues carbone, je gagnai à l'aise 15 places!"
Enfin ils sortent du parc et on peut les toucher et discuter avec eux. Ils redeviennent des humains accessibles, adieu affreux pingouins, vilaines mouches et autres robots casqués.
Quoiqu'en poussant difficilement leur vélo et leur sac tout mal rangé, ils font penser à ces guerriers qui rentrent d'une putain de sale mission, en ayant vaincus les pires ennemis et malgré les mauvais coups endurés, ils sont là, fatigués, usés, marqués, mais heureux et fiers de s'en être sorti.
Et moi toujours aussi affairé à ne rien faire, je les regarde.
Je les envie.
Je les aime.