PREAMBULE
Tandis que je m’apprêtais à rédiger un petit article sur le Défi 41, mon esprit vagabond vint frapper à la porte de ma conscience aiguisée afin de lui soumettre une interrogation que je me permets de vous révéler en préambule, avec l’opiniâtreté gourmande de celui qui ne déteste pas s’engouffrer dans la polémique :
« A-t-on le droit de donner son avis sur un livre qu’on n’a pas lu ? Sur un film qu’on n’a pas vu ? Sur un événement qu’on n’a pas suivi ? »
Peut-on dire à Jieff qu’il avait tort de donner son avis favorable à un défi non encore entamé ? De dire que Doc F n’avait aucune raison de critiquer cette loufoque expérience sous le simple motif qu’il y avait là mise en danger de la santé ? N’est-ce pas légèrement infantilisant de vouloir nous distraire avec des sujets sérieux ?
Depuis 35 jours (au moment où j’écris ces quelques lignes) le Défi 41 a commencé ;et pour conforter son opinion favorable, Jieff s’est rendu par 3 fois sur le site de ce défi, d’abord en tant qu’ arbitre et ensuite comme accompagnateur en vélo puis à pied.
-Qu’en penses –tu ? Lui ai-je demandé. C’est bien ?
- Oh oui, oh oui, oh oui, oh oui, oh oui, oh oui,
Vas-y, vas-y, vas-y, vas-y, vas-y, vas -y !
Ce distique élégiaque, il est vrai, peut sembler un peu faible pour me convaincre. Mais l'injonction est sympathique , Aussi ai-je décidé de me rendre sur place lors de la 34è journée de ce défi ‘’mondial’’. L’idée me parut heureuse, l’intention me sembla louable. Le projet me permettait une source intarissable d’enseignement précieux.
ACTION
Le lundi 4 août, lendemain comme il se doit d’un dimanche cycliste épuisant, estimé ‘’entraînement extrême’’ du Polar V 800 me parut un bon jour ; « Il roule cool » m’a prévenu Jieff « 27 de moyenne, tu vas t’emmerder » Bon, en récup’, pourquoi pas ?
Part de bonne heure d’Orléans, je débouche à Vendôme sur un grand parking, à l’entrée d’un camping où une arche surmontée d’un chrono lumineux indique à la fois que je suis bien sur le lieu du Défi et que son ‘’géniteur et one-man show himself’’ en est déjà à presque 3 heures d’efforts.
« Il met 45 minutes par tour et il est parti pour son 2è tour il y a 20 minutes »
-« Ok, j’ai donc le temps de me préparer ? »
- « oui, car de plus, il s’arrête 10 minutes pour manger »
-« …. ???... »
Je l’attends, sous un chaud soleil (24° et il n’est pas 10h) depuis peu quand une kyrielle de motos, prélude à son arrivée, et précède de peu un peloton d’une vingtaine de cycliste. Difficile d’identifier ce Ludo qu’encouragent une dizaine e banderoles bariolées.
Je ne sais pas son nom, hormis son prénom. Je e connais pas son âge. Je ne sais rien de lui. Mais je le repère vite. Détonnant , non par sa mine ou son aspect, mais par l’originalité de sa conduite : son non-conformisme déclaré ne s’exprime pas par des cheveux verts ou des épingles de nourrice dans le nez mais par un mental hors du commun. Tout d’emblée transpire de concentration et de sérieux dans l’approche de l’effort .
Après 10’d’un repas de pâtes et de gateau-sport (je présume d’après l’aspect), nous partons. Lui devant, nous groupés en un amalgame hétéroclite de cyclistes d’un jour et d’autres qui portent fièrement un maillot labélisé Embrun-Man ou ‘’La Luc Alphand’’ .
Un aller-retour de 22,5 km ponctué de quelques belles et courtes bosses. Ce 1er tour me semble ridiculement lent. 42 ‘ , oui…bof !
Repas 10’ et on repart. Mêmes sensations . Nous sommes 15 cyclistes et certains restent à ses côtés pour une discussion qui lui permet sans doute de gommer la lassitude de cette énième répétition. Le mythe de Sisyphe revisité !! Il fait près de 30°. Pas un nuage et un léger zéphyr. Bouclé en 44’.
Repas et massage, 15’ et 3ème départ pour moi. 5è pour lui. C’est vrai qu’il accélère parfois jusqu’à rouler à 36 km/h Mais les côtes restent à une allure un tantinet bien lente. Je m’embête un peu mais je sens comme un début de fatigue (moral ou physique ?)
Retour au parc, repas, crème anti-solaire et 4è tour, La chaleur monte, Ma fatigue aussi, Nous ne sommes plus que 5 accompagnateurs, C'est l'heure du repas sans doute pour tous ceux qui le suivent, et ça devient ennuyeux, Je ne me vois pas renouveler ces A/R 8 fois par jour,
Repas, massage et 5è départ, 34°, j'ai soif et Ludo ne marque aucun signe de fatigue, Mêmes accélérations aux mêmes endroits, Il en faut du courage, de l'inconscience ou de l'abnégation pour affronter ce défi que certains jugent oiseux, stérile, vide , creux, infructueux ou superfétatoire, Et par là même d'affronter la moquerie facile, la raillerie médiocre, le cynisme ambiant,
En plus de sa ténacité, ce garçon est charmant ; sans forfanterie , sans frime, très concentré mais prêt à discuter avec chacun, Je pense à une phrase de Jules Renard : ''La gentillesse, c'est le courage qui sourit''
Dernière pause, dernier tour, 35°, j'étouffe! Le bitume renvoie la chaleur, J'en ai plein les guibolles ! Franchement, comme journée de récup', c'est pas ça,
Enfin, c'est fini, J'ai 135 km pour une moyenne de 31 km (sans les arrêts, of course), Mais dans l'ennui et pourtant j'aime le vélo,
Alors, bien sûr, il faudrait revenir sur quelques points discutables de ce défi :
S'il fait bien, tous les jours, la distance d'un IM, ce qui est admirable – à mon sens - il ne fait pas , expressis verbis, un IM par jour, En natation, en piscine avec une combinaison, il marque des pauses pour se ravitailler au bord du bassin, impossible lors d'un IM,
En vélo, il a -quasi en permanence – un cycliste à sa hauteur ; Pour discuter et ne pas voir le temps qui passe me dit-on, C'est carton ça Jieff, non? J'évoquais ce point litigieux avec l'arbitre du jour
- Tu ne vas pas remettre en cause ''notre'' record du monde ?
De plus, chaque arrêt équivaut à une aide extérieure, En course à pied comme en vélo, Mais bon, il fait QUAND MËME 13 ou 14 heures d'effort par jour et ces petits accommodements ne discréditent pas ce combattant de l'inutile, ce compagnon du dérisoire,
N'abandonne pas cette quête, peut-être superflue mais infinie, mais sublime, mais flamboyante et jusqu'au bout de tes forces, jusqu'au bout de ta vie, déclame avec Cyrano :
''Que dites vous ? C'est inutile, Je le sais,
Mais on ne se bat pas dans l'espoir d'un succès,
Non, non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile''
EPILOGUE.
Fort de mes 135 km de vélo, j'ai voulu partager un peu de sa course à pied et voir ce qu'il en est, Après 15' de repos ou de repas, il repart, non sans se couvrir la t^te d'une pochette de glace qu'il va changer à chaque tour. ''6' au kilo'' m'a dit Jieff, Bien ! Mais Ludo est en forme ce jour, car nous bouclons le 1er tour en 5'35 de moyenne (Polar dixit)
Allez, un petit 2è tour pour la forme ? C'est là que ça se gâte pour moi, A 5'45 au kilo, je n'arrive plus à suivre, Je souffle comme un bœuf, j'ai des vertiges, Un coup d'oeil sur le cardio : 175 de fréquence cardiaque !!! Moi dont le rythme maxi, à fond dans les séries brèves, ne dépasse pas le 160 ? Put,,, de coeur ! Crise de tachycardie dont j'ai quelques habitudes!
Doc F a donc raison, Ce gars met la santé en danger, Mais pas la sienne ; Non, si son pari est fou, lui est sensé, bien préparé, très fort, Moi, j'ai passé plus d'une heure allongé sur un banc, juste devant l'entrée des Urgences de l'hosto de Vendôme, Hasard prémonitoire ?
Alors, même si, par hasard, par erreur, par manque de goût, de discernement,
vous ne me trouvez pas drôle, même si vous me trouvez limite désagréable, revêche, ou inutilement polémiste, ne retenez qu'un conseil: Allez passer une journée avec Ludo, vous pourrez sans doute y courir plus longtemps que moi.